
Cette transposition en droit national sénégalais de la Loi uniforme adoptée le 16 juin 2023 par le Conseil des ministres de l’UMOA, marque une étape cruciale dans la modernisation et le renforcement du secteur bancaire sous régional.
Ce texte, composé de 258 articles répartis entre douze 12 titres, témoigne de l’ambition du législateur de fixer et couvrir, par une norme législative supranationale, l’essentiel de la règlementation du secteur qui gagne en robustesse et en lisibilité.
En effet, plusieurs règles prudentielles qui étaient dans divers textes (lois, instructions BCEAO, décisions conseil des ministres etc.) sont rapatriées dans la nouvelle loi ce qui leur donne plus de substance et de solidité.
La nouvelle règlementation procède, d’emblée, à une délimitation très nette de son champ d’application.
Elle s’applique aux banques, holdings bancaires, établissements financiers de crédit, aux établissements de paiement ainsi qu’aux établissements de monnaie électronique ; elle fait, également, une place nette à la finance islamique, ce qui constitue l’une des grandes innovations de la loi.
Le nouveau cadre législatif introduit des innovations significatives visant à encadrer l’activité bancaire, à assurer la stabilité financière et à mieux protéger les consommateurs de services bancaires.
Nous évoquerons les apports de cette loi à travers ses principales innovations (I), ses impacts sur les établissements de crédit de la zone UMOA, en termes de gouvernance, d’organisation et de gestion des risques (II) et les mesures spécifiques mises en place pour renforcer la protection de la clientèle bancaire (III).
RAPIDE LECTURE DE LA NOUVELLE LOI BANCAIRE
L’Assemblée nationale du Sénégal, en sa séance du 11 février 2025, a adopté la loi portant réglementation bancaire en remplacement de la loi cadre portant réglementation bancaire adoptée en Conseil des Ministres de l’UMOA en 2007.
I - DES INNOVATIONS ATTENDUE
Deux évolutions fortement attendues, ont été prises en compte dans le champ d’application de la loi. Il s’agit de l’encadrement de la finance islamique et des activités des entreprises de la technologie financière2 (FinTech) c’est-à-dire les entreprises qui mettent à profit l’évolution technologique et numérique dans le domaine de la Banque et de la Finance.
ENCADREMENT DE LA FINANCE ISLAMIQUE
Jusqu’ici, la finance islamique était le parent pauvre de la réglementation du secteur financier.
En effet, il a fallu attendre 2017 pour avoir le premier cadre juridique dans l’espace de l’Union, avec la loi modificative de la loi portant réglementation des Systèmes Financiers Décentralisés (SFD) de l’UMOA, adoptée le 29 septembre 2017.
Des instructions ont été prises en 2018 pour compléter, timidement, l’arsenal juridique pour une activité en forte croissance dans le monde et en Afrique et pouvant offrir de nouvelles opportunités de financement améliorant l’accès aux services financiers.
Cette réforme était grandement attendue.
Ainsi, le Titre V de la loi prévoit l’intégration de la finance islamique dans le système bancaire, en offrant un cadre réglementaire pour les institutions qui pratiquent cette forme de finance soit à titre principal, soit via des filiales spécialisées.
Dans les limites et conditions fixées par leur agrément, les établissements de finance islamique doivent se conformer aux « principes et règles de la finance islamique, notamment l’interdiction de perception et/ou de versement d’intérêt, la prohibition de l’incertitude et de la spéculation ainsi que l’obligation d’adosser le financement à des actifs tangibles ».
Les modalités et conditions d’exercice de l’activité de finance islamique seront précisées par la banque centrale mais cette prise en compte législative représente un pas significatif vers la formalisation et la régulation de cette activité qui sera supervisée par un « Conseil de conformité central » logé à la BCEAO.
La Banque Centrale peut élargir les entités habilitées à exercer l’activité bancaire islamique, notamment aux Fintech.
RECONNAISSANCE ET ENCADREMENT DES FINTECH
Une Fintech est une entité offrant des services ou produits financiers conçus ou distribués via des technologies innovantes.
Elle est définie par la Loi comme étant une « entreprise de technologie financière habilitée à exercer à titre exclusif une ou plusieurs opérations de banque dans le respect des conditions et limites définies par son agrément ou son autorisation d’exercice ».
La loi inclut explicitement les établissements de paiement et les établissements de monnaie électronique parmi les établissements bancaires régulés (art. 5 point 44).
Cette inclusion constitue un très grand pas vers la modernisation encadrée du secteur bancaire et financier au moment où se développe l’intelligence artificielle.
La réglementation spécifiquement applicable aux Fintech est déterminée par la BCEAO.
II - RENFORCEMENT DE LA SURVEILLANCE PRUDENTIELLE DES ETABLISSEMENTS DE CRÉDIT ET DES MESURES DE RÉSOLUTIONS
1- MESURES TENDANT À RENFORCER LA SOLIDITÉ ET LA RÉSILIENCE DES ÉTABLISSEMENTS DE CRÉDIT
Le cadre institutionnel de surveillance et de contrôle du secteur ainsi que sa gouvernance sont lourdement renforcés à travers une démarcation des fonctions des organes de direction et de contrôle ainsi qu’une responsabilisation des dirigeants et administrateurs qui doivent, plus que par le passé, faire preuve d’une grande probité morale.
Cette réforme propose un secteur bancaire moderne, moins invariable, plus solide financièrement et plus résilient face aux chocs relevant de son environnement interne comme externe.
En effet, en sus du dispositif prudentiel4 prévoyant des fonds propres assez exceptionnel, dont l’objectif est de faire la promotion d’un « système bancaire, solide et résilient », la nouvelle règlementation bancaire tenant compte du principe de proportionnalité, donne compétence à la commission bancaire le pouvoir d’ajouter des exigences prudentielles complémentaires et/ou supplémentaires aux établissements agrées en fonction de leur profil de risque et de leur importance dans le marché bancaire.
Ainsi, la commission bancaire peut fixer des normes prudentielles différenciées selon la situation individuelle de chaque établissement agréé.
Sous ce rapport, les établissements bancaires de dimension systémique, déterminés en considération de leurs périmètres, de leurs tailles, du volume de leurs activités ou de leur interconnexion au marché soit régional ou national sont identifiés et classés en entreprises bancaires d’importance systémique (EBIS).
Cette catégorisation est conçue afin d’améliorer la visibilité du secteur mais surtout de préserver, par des outils appropriés le système bancaire qui nécessite rigueur et proactivité dans la surveillance comme nous le rappelle la grave crise financière de 2008.
Ainsi, un établissement bancaire dont la défaillance, en raison de sa taille, de sa complexité, du volume de ses activités ou de son interconnexion systémique, pourrait mettre en péril le système financier régional ou national et par voie de conséquence impacter négativement l’activité économique de l’UMOA est soumis à un dispositif prudentiel particulier en vue d’atténuation de tout risque systémique quel que soit sa protubérance.
Cette disposition importante vise à rendre nos banques plus solides financièrement et plus compétitives c’est-à-dire améliorer leur aptitude à faire face à la demande de crédit de plus en plus forte en raison des besoins de financements grandissants tout en minimisant les risques de crédit.
Il faut rappeler qu’en moins de 17 ans, le capital social minimum des banques est passé de 5 milliards à 20 milliards.
Il s’y ajoute que par décision prise le 24 juin 2016, entrée en vigueur le 1er janvier 2018, le Conseil des ministres de l’UMOA avait adopté un nouveau dispositif prudentiel applicable aux établissements de crédit et aux compagnies financières en activité dans l’Union, en instituant, entre autres mesures, une exigence minimale de fonds propres des banques.
Cette mesure est de nature à renforcer la solvabilité des banques mieux armées pour faire face aux risques systémique ou intrinsèque.
Ainsi, les banques doivent être, plus que jamais, en permanence solvables et liquides, donc, aptes à faire face à leurs engagements à tout moment.
Outre l’institution de fonds propres minimums, d’autres mécanismes qui étaient dans le dispositif prudentiel de 2016, sont ramenés dans l ’article 84 de la nouvelle loi bancaire.
Il s’agit des fonds relatifs des coussins de fonds propres à savoir les coussins de de conservation, les coussins contracycliques ou les coussins systémiques qui sont des instruments permettant d’instituer des fonds additionnels destinés à prévenir ou atténuer certains risques en fonction de leur gravité ou de leur caractère cyclique.
D’autres fonds propres supplémentaires peuvent être exigés par l’autorité macroprudentielle dans certains cas notamment lorsque les fonds propres règlementaires (fonds propres minimums et les coussins) se révèlent insuffisants pour couvrir des risques imminents ou une défaillance constatée dans le système de gouvernance, de contrôle ou de gestion des risques ou en cas de sous- estimation des risques réels.
Par ailleurs, la nouvelle loi prévoit expressément que « les établissements agréés sont tenus de respecter les normes de liquidité minimales fixées par la règlementation prudentielle5», en particulier les ratios de liquidité à savoir la ration de liquidité à court terme et le ratio structurel de liquidité à long terme.
Ces améliorations du dispositif financier et comptable des établissements agréés visent essentiellement à augmenter les ratios de solvabilité et de liquidité qui font partie des piliers de la solidité et de la résilience d’un établissement de crédit.
2 - RENFORCEMENT DES MÉCANISMES DE RÉSOLUTION ET DE TRAITEMENT DES ÉTABLISSEMENTS EN DIFFICULTÉS
La nouvelle loi bancaire institue des procédures particulières pour les entreprises en difficultés du secteur bancaire et ce, en application de l’article 1-1 de l’Acte Uniforme relatif aux procédures d’apurement du passif applicable dans l’espace OHADA.
La nouvelle loi a ainsi rapatrié au niveau de son Titre X, des mécanismes de traitement d’une entreprise agréée en difficulté prévus dans l’annexe régissant la convention bancaire de l’UMOA.
Par ce mécanisme de rapatriement, tout potentiel conflit de normes est résolu, permettant aux autorités prudentielles d’appliquer les ressources de la loi bancaire qui seront complétées, en cas de besoin, par les lois internes en matière de traitement d’une entreprise en difficulté.
Ainsi, la nouvelle loi bancaire couvre toutes les mesures résultant des difficultés des établissements agréés partant de l’intervention précoce, du redressement, de la résolution à la liquidation.
La résolution des crises bancaires est un régime spécial qui consiste à procéder à la restructuration d’un établissement assujetti, par le Collège de Résolution, au moyen des mesures de résolution prévues à l’article 53 de l’Annexe à la Convention régissant la Commission Bancaire de l’UMOA.
Elle vise notamment à contribuer à la préservation de la stabilité financière, à veiller à la protection des déposants et des créanciers et à éviter ou à limiter le recours au soutien financier public ou de la Banque Centrale.
Ces batteries de mesures prises de manière graduelle, proportionnelle, cohérente et efficace, sont de nature à éviter toute perturbation exagérée de l’activité bancaire au sein d’un Etat membre ou de l’UMOA toute en veillant à préserver la continuité des activités et des services des établissements en difficulté.
II - RENFORCEMENT DE LA PROTECTION DE LA CLIENTELLE
L’intérêt des clients se trouve davantage pris en considération par la nouvelle Loi. Les usagers des banques bénéficient, se voient accordées des mesures de protection spécifiques à travers, entre autres : – L’obligation de loyauté et de respect des intérêts de la clientèle ; – L’obligation de vigilance ; – La confidentialité des données personnelles de la clientèle ; – La transparence et l’accès aux informations fiables, de qualité et dans un délai opportun ; – La protection contre le surendettement.
Dans le cadre du traitement des conflits entre l’établissement agréé et la clientèle, il est institué la possibilité de saisir l’établissement agréé en conciliation préalablement à toute saisine d’une juridiction.
En cas d’insatisfaction, le client a la possibilité soit de saisir la commission bancaire de la réclamation ou engager une procédure de médiation devant soit l’entité nationale compétente soit l’observatoire de la qualité des services financiers (OQSF).
Il faut rappeler que le Sénégal a institué ce mécanisme7 alternatif de règlement des conflits qu’il considère comme « une voie royale » destinée à améliorer le traitement du contentieux économique et social.
Comme autre mesure de protection, il est créé un Fonds8 de garantie auquel tous les établissements agréés faisant des collectes de dépôts adhèrent obligatoirement.
Ce Fonds alimenté par les contributions des adhérents permet d’indemniser les déposants en cas de défaillance de l’adhérent et ce, dans la limite d’un plafond fixé par le Conseil des ministres de l’UMOA qui définit les modalités et procédures d’indemnisation.
En cas de difficulté de l’établissement agréé, le Fonds, sur proposition de la Commission bancaire peut intervenir, à titre préventif et exceptionnel, pour apporter un traitement approprié à la difficulté constatée.
En conclusion, il est possible d’affirmer que cette nouvelle législation par sa portée, la richesse de son contenu et son caractère dérogatoire au droit commun, offre un cadre réglementaire assez solide qui encourage l’innovation et renforce la stabilité financière mais, surtout, la protection des consommateurs des services bancaires qui ont désormais accès à des mécanismes appropriés de règlement de leurs litiges.
Cette loi, avec les lois sur le crédit-bail et l’affacturage9, instruments de crédit utiles à la promotion des Petites et moyennes entreprises (PME), contribuera davantage à la restauration de la confiance dans le secteur et à la satisfaction les besoins de financement de plus en plus importants.
El Hadji Omar YOUM
Avocat associé
SYSS AVOCAT